La poterie wayana, menacée par l’orpaillage illégal


En Guyane, les amérindiens de la forêt vivent dans des conditions rendues difficiles par l’orpaillage.
Dans le village de Taluen, Malilu et Linia Opoya sont les deux dernières potières traditionnelles.
Elles tentent de sauver ce savoir avant qu’il ne soit trop tard.

Un artisanat en voie de disparition

La céramique est présente dans les objets de la vie quotidienne et des rituels en Amazonie depuis 7 600 ans. À Taluen, au bord du fleuve Maroni, les femmes wayanas répètent les mêmes gestes depuis des millénaires. À trois heures de pirogue de Maripasoula, cette communauté amérindienne suit un mode de vie traditionnel. Pêche, abattis, chasse et artisanat rythment le quotidien des habitants.

La famille Opoya se bat pour préserver les savoir-faire ancestraux de ce village de 300 habitants créé par leur grand-père. “J’ai de la chance d’être née dans une famille où l’artisanat est très présent. Mon oncle fait des ciels de case, ma grand-mère et ma tante font des poteries, ma mère des colliers et mon père sait faire des bancs traditionnels”, explique Sylvana Opoya, institutrice à Taluen.

Mais sa grand-mère, Malilu Opoya est très inquiète. “Si Linia disparaît, il n’y aura plus personne pour faire des poteries”. La mère et la fille sont les deux dernières potières du village. Elles déplorent que les jeunes soient moins intéressés par les traditions depuis qu’ils vont à l’école de la République.

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L’urgence de transmettre

“C’est important de réveiller cette passion chez les enfants, c’est ce qui me plait beaucoup. Il faut créer ces opportunités.” Linia Opoya

La céramique wayana est un savoir entièrement issu de la nature. L’argile est récoltée dans la forêt, un morceau de calebasse sert à la modeler, un caillou à la lisser, le bois à la cuire, et l’écorce d’apulukun à la vernir. Linia Opoya est la dernière potière de Taluen à encore se rendre au cœur de la forêt amazonienne pour prélever sa glaise une fois par an. Si chaque potière a son coin secret, toutes creusent la terre pour atteindre une poche d’argile.

En fouillant le sol, Linia se souvient de la légende de Kuliwelui. Si des clapotis résonnent dans le trou, c’est cette femme-argile qui n’est pas contente que l’on épuise une poche de terre. Aujourd’hui, Linia est prête à briser le secret de la potière dans le carbet de transmission afin d’enseigner son savoir ancestral. “J’aimerais bien faire redécouvrir la poterie, c’est quelque chose que je veux transmettre pour qu’un jour, quand je ne serai plus là, il y ait toujours quelqu’un qui sache les fabriquer.”

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Un retour aux sources

“La poterie définit une femme savante. C’est l’art de la femme. On voit ce dont elle est capable.” Yolanta Opoya

“J’ai peur car si Malilu disparaît c’est le savoir qui disparaît avec elle.” Yolanta Opoya est la première fille de Malilu. Elle a appris la poterie enfant mais n’a pas continué à cause de ses règles et de ses grossesses. Soucieuse des traditions, elle s’est tenue loin de la glaise. “Quand je travaille l’argile, mes savoirs et mes souvenirs avec ma grand-mère remontent. Avec elle, je voulais tout savoir. On allait en forêt, j’observais tout.” 

Comme tous les Wayanas, Yolanta a appris en observant et lors de l’atelier poterie, ses connaissances lui sont tout de suite revenues. Même si ses “mains sont moins agiles qu’avant” quand elle lisse sa poterie 10 fois avec un bout de calebasse, elle prend conscience de l’importance de la transmission. “Plus tard j’aimerais bien m’y remettre. Je prendrai ma propre pirogue avec mes petits-enfants et j’irai chercher de l’argile pour leur enseigner ma connaissance.”

L’atelier de transmission

Un art exigeant

“Il faut apprendre la poterie, c’est important pour être indépendant. Ce n’est pas d’un autre temps, c’est un savoir-faire.” Yolanta Opoya

Dans l’artisanat wayana, tout doit être réalisé à la perfection. Aussi, chaque détail des poteries est exécuté avec soin et habileté. Tout au long de la confection, des règles à suivre à la lettre s’appliquent. Il ne faut pas manger de poissons carnivores ou de cochon-bois au risque de fendre la céramique. Les femmes doivent jeûner et certaines ne doivent pas approcher l’argile. “Sinon les poteries explosent dans le feu comme des pétards”, explique Yolanta.

Une discipline exemplaire qui permet aux femmes Opoya de répéter en chœur : les potières sont des femmes fortes. Et, cet art ancestral leur permet aussi de retrouver une certaine indépendance. L’autonomie économique vient avec la vente de leurs créations mais elles profitent aussi de ces moments exclusivement féminins pour s’exprimer et chercher du soutien ou du réconfort.

Un art exigeant
TerritoireGuyane
Habitants285 133
VillageTaluen
Habitants250
ParticularitéVillage au coeur de la forêt

Laboratoire d’idées pour demain

Un savoir pour ne pas disparaître

Depuis plus de 30 ans, la Guyane souffre de l’extraction illégale d’or. Des centaines de tonnes du mercure utilisé pour le traiter ont été rejetées dans la nature polluant tout sur leur passage. L’empoisonnement des poissons carnivores touche directement les Wayanas. Avec le manioc, ils composent la base de leur alimentation. En 2015, 90% des populations du Haut-Maroni avaient un taux de mercure supérieur à la norme admise, selon WWF. Une véritable catastrophe écologique et sanitaire se joue en Guyane malgré l’interdiction du mercure depuis 2006.

Marie Fleury
ethnobotaniste au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN

“Ce savoir-faire permet aussi de se faire connaître, de rencontrer des gens, de se créer des opportunités et un soutien financier, de voyager.” Yolanta Opoya


La poterie est un savoir intégralement issu de la nature, symbole de la culture et des valeurs wayana. Mis en péril par l’orpaillage illégal et la crise climatique, une famille lutte de mère en fille au cœur de la forêt amazonienne pour sauver cet art millénaire. Un combat dont il serait temps de se faire le relais.