Aux îles Marquises, le soin par les plantes


Dans l’archipel des Marquises, en Polynésie, le secret des plantes n’est plus qu’entre les mains de quelques femmes.
Aujourd’hui, à Fatu Iva, elles se mobilisent pour conserver et transmettre cet héritage précieux.

Les plantes du bout du monde

Le “paradis” de Sarah Vaki, c’est Fatu Hiva dans les îles Marquises. De l’archipel le plus éloigné d’un continent au monde, Fatu Hiva est l’île la plus sauvage. Une seule rue, deux villages, tout le reste n’est que nature luxuriante. Longtemps coupés du reste de la planète, les Marquisiens n’avaient pas d’autre choix que de se soigner avec leurs plantes terrestres et marines.

Feuilles, écorces et algues deviennent potions, bains et cataplasmes pour former la pharmacopée traditionnelle polynésienne. Sarah Vaki fait partie des dernières ambassadrices de ces connaissances remarquables. “Beaucoup de remèdes viennent de nos grands-mères. Il y a eu cette transmission à la fille, à la petite fille.” 

Ces “ra‘au”, en polynésien, sont conseillés par les guérisseuses mais parfois aussi par les cabinets médicaux. Sarah se rappelle d’Ida, fille de guérisseuse et adjointe de soins à Omoa. Elle était aussi bien dentiste, gynécologue que chirurgienne… “Quand elle voyait qu’elle n’avait pas ce qu’il fallait pour soigner une personne, elle la dirigeait vers les Mamans qui font des médicaments à base de plantes médicinales”.

Découvrir les plantes médicinales

Le don de soigner

Tous les médicaments de Mamie Julie valent de l’or. Sarah Vaki

À Fatu Hiva, il ne reste plus que quatre guérisseuses. Chacune a sa spécialité. Mamie Julie est reconnue pour son “médicament pour la femme”. La vieille dame au sourire communicatif a passé sa vie à soigner les autres en offrant ses “ra‘au”. “Je peux le dire maintenant, c’est un don et j’aime tellement ce travail que ma mère m’a transmis.” 

Mamie Julie cultive elle-même ses plantes médicinales et va couper racines, feuilles et fleurs pour soigner ses malades. Elle se fie à la taille de la paume de sa main pour en mesurer les quantités comme le lui ont enseigné les anciens. Mais sa mission peut être lourde à porter car son don de guérisseuse et l’envie d’aider l’empêchent de refuser des patients.

Voir le portrait de la guérisseuse

Des plantes pour les maux du quotidien

Moi, je donne à ceux qui veulent. Je ne garde pas pour moi parce qu’un jour je ne serai plus là. Mamie Julie

Aujourd’hui, Mamie Julie transmet volontiers ses connaissances pour éviter qu’elles ne se perdent. “À tous ceux qui viennent chez moi, qui demandent, je leur montre.” À 71 ans, lors d’atelier de transmission, elle partage ses recettes avec les jeunes mamans de Fatu Hiva pour qu’elles puissent soigner leur famille.

Pour chaque douleur, la guérisseuse a un “ra‘au” qui doit toujours être pris avant 15 heures. Et “pour certains médicaments, il y a des interdits. Tu ne peux plus avoir de rapport avec ton mari, tu ne dois pas manger certains aliments comme le cochon ou la bonite jusqu’à ce que tu fasses une purge.”

L’atelier de transmission

Les femmes gardiennes des savoirs

“C’est vraiment un devoir pour moi de laisser à la génération future tout ce que j’ai reçu des anciens, des guérisseuses. Sarah Vaki

Sarah Vaki n’est pas guérisseuse mais elle est la gardienne de la mémoire de Fatu Hiva. À ce titre, elle a entamé un long travail de collectage depuis son adolescence. “Avec tous les anciens qui m’ont transmis des récits de vie, des plantes, des danses, des légendes… J’ai tout écrit.” Elle a noirci les pages de “beaucoup de cahiers d’école” avec tous ces savoirs. “Je préfère écrire pour transmettre à mes enfants, à mes petits-enfants et à d’autres encore qui auront besoin un jour de ces médicaments.” 

Sarah Vaki est fière de noter la dernière recette de Mamie Julie contre le mal de dos, qui touche près de 70% de la population française : “Trois litres d’eau de coco et trente piments, les piments oiseaux, rouges, bien mûrs. Tu mélanges tout ça, tu fais cuire et tu fais bouillir jusqu’à ce que les piments remontent. Tu étales et tu laisses macérer pendant un certain temps. Et puis tu bois ça, c’est ton eau de tous les jours, c’est tout voilà !”

Les gardiennes des savoirs
TerritoirePolynésie
Habitants283 147
Iles MarquisesFatu Hiva
Habitants612
ParticularitéRavitaillement 2 fois par mois

Laboratoire d’idées pour demain

La médecine des humeurs

La vision polynésienne de la santé est différente de la vision occidentale. Il y a quatre types de maladies et la théorie des humeurs y tient une place centrale. Il faut purifier tout ce qui est liquide dans le corps pour atteindre l’harmonie. Un large éventail de soins sont proposés comme les  massages, les bains, les régimes, les jeûnes ou les purges. Ils permettent de rétablir l’équilibre du corps, du mental et de l’âme dans un environnement préservé qui est lui aussi une source de cet équilibre.

Simone Grand
Anthropologue, docteure en biologie, autrice de l’ouvrage Tahu’a, tohunga, kahuna – Le monde polynésien des soins traditionnels (2021, éd. Au Vent des îles)

“Je pense que c’est important de garder tout ça, de collecter tout ça.
Il faut qu’on garde tout ce que nos anciens nous ont laissé.” Sarah Vaki


Aux îles Marquises, seules quelques femmes sont les garantes du savoir des plantes médicinales. Des connaissances ancestrales dont la médecine allopathique devrait se saisir à l’image du Centre Hospitalier de Polynésie française à Papeete qui est le premier hôpital français à faire appel à une tradi praticienne à temps plein. Cette médecine intégrative est promue par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).