En Martinique, un modèle agricole d’avenir unique
Une expérience novatrice et typiquement martiniquaise s’inspire de la ferme autonome Songhaï au Bénin et de l’agriculture de risque. Elle rime avec écologie et souveraineté alimentaire.
Un modèle de souveraineté alimentaire
“ Revenez à la terre, c’est là qu’il y a à boire et à manger” Monette Marie Louise du Dommen Lantik
Loin de l’image idyllique de l’île fleurie, la Martinique doit affronter ces dernières années de nombreuses violations de ses droits humains et de fortes inégalités sociales et économiques; sans compter l’affaire du chlordécone, ce pesticide utilisé pendant des décennies dans les plantations de bananeraie, à l’origine de nombreux cancers et des conséquences du réchauffement climatique sur l’agriculture. C’est pourquoi, sur ce territoire de tradition agricole, des individus imaginent de nouveaux modèles.
Certains relancent des cultures oubliées comme le cacao, le café ou la vanille, d’autres vont puiser dans l’origine béninoise de la Martinique pour s’inspirer par exemple du modèle Songhaï, soit une ferme autonome qui est tout à la fois un lieu de production agroécologique, de transformation, de formation et de santé. Dans ce projet, les femmes sont au cœur du dispositif et en particulier les femmes vulnérables car “ce lieu est aussi un lieu de ressourcement et mon objectif est de susciter un esprit d’entreprenariat pour avancer ensemble” souligne Monette Marie Louise à l’origine du projet.
Fille et petite fille d’agriculteur, elle s’est installée sur le domaine familial de 50 hectares sur la montagne du Vauclin après une carrière dans l’enseignement agricole. À son retour au pays, “l’appel de la terre” l’a rattrapée et elle décide de se lancer dans un projet de production saine et vertueuse pour son île, pour les femmes et pour préparer l’avenir en assurant la souveraineté alimentaire.
Le Cacao en héritage
“Le cacao fait partie de nous et c’est une fierté de transmettre mes connaissances à ces femmes” Kora Bernabé, présidente de la filière Cacao
En avril 2024, le Dommen Lantik a ouvert un premier cycle de formation en proposant un atelier de transmission de savoirs sur la culture du cacao à des femmes inscrites à France Emploi. Si certaines ont des origines agricoles, toutes découvrent cet or noir qui a été abandonné dans les années 50. Mais en 2015, une jeune femme, Kora Bernabé, ingénieure agronome, choisit de reprendre l’exploitation de cacaoyers de son grand-père Henri et de se battre pour valoriser la filière cacao. C’est aussi l’histoire d’une aventure collective, précise Kora “de 10 producteurs il y a dix ans, nous sommes plus de 50 en 2024 et venons de recevoir le prix du meilleur cacao du monde”. Kora incarne à 34 ans la nouvelle génération de ces agricultrices écoresponsables qui ont à coeur de partager leurs connaissances. Un modèle pour ces femme bois (le surnom de ces femmes) de l’atelier qui espèrent un avenir meilleur et pourquoi pas dans la culture de cacao ?
L’igname une racine pour demain
“Si on vous offre un igname, dites vous que c’est le plus beau des cadeaux” Monette Marie Louise du Dommen Lantik
Depuis la période de l’esclavage, l’igname fait partie de l’identité des Martiniquais.es. Ce tubercule est à la base de l’alimentation et cuisiné sous différentes formes. Mais, depuis quelques années, il a été délaissé au profit d’une nourriture importée (plus de 60% de l’alimentation). C’est pourquoi revenir à la plantation de l’igname est tout à la fois un acte d’autonomie alimentaire et un retour à une culture locale. Pour Maguy Bellony, cultivatrice, il s’agit bien de combiner le savoir des anciens et l’apprentissage dans les écoles d’agronomie. “Ainsi pourrons-nous proposer une agriculture plus respectueuse du vivant et sans pesticides”. Dans cet esprit, il y a 7 ans, l’igname suspendu a vu le jour sur le territoire limitant ainsi l’intoxication au chlordécone puisqu’il prospère sans être en contact avec le sol. “L’or de demain” souligne Monette qui invite aujourd’hui les femmes de l’atelier à le planter chez elles sur leur balcon et à le consommer sans modération.
Zoom : l’agriculture de risque, une expérience
“Il est temps d’éveiller les consciences” Monette Marie Louise du Dommen Lantik
La Martinique est victime du réchauffement climatique avec la montée des eaux et l’augmentation des cyclones, sans parler du risque d’éruption volcanique, ce qui la place dans les îles à risque. C’est pourquoi, le Domenn Lantik met en place des formations pour apprendre à cultiver en toute circonstance et à consommer durablement en totale autonomie. Comme le souligne Monette Marie Louise “peu de gens savent qu’il suffit de se pencher pour trouver tout ce dont nous avons besoin pour nous nourrir ou pour nous soigner comme le Pois d’angole, le Zamana, l’arbre à pain…”. Cet atelier est une véritable révélation pour ces femmes qui repartent avec quelques graines et la volonté de cultiver pour leur famille.
Territoire | Martinique |
Habitants | 360 749 |
Superficie | 1 128 km2 |
Ville | Vauclin |
Particularité | 50% de la population d’origine du Bénin |
Laboratoire d’idées pour demain
Droit au bonheur
“S’il fallait un jour que les forêts disparaissent, l’homme n’aurait plus que son arbre à pleurer” disait Einstein posant déjà la question du lien entre protection de l’environnement et bonheur de l’être humain. Depuis 1972 et le premier Sommet de la terre à Stockholm, des juristes réfléchissent à un droit au développement durable qui intègrerait le droit au bonheur, comme cela se pratique déjà au niveau sociétal au Bhoutan ou encore dans les communautés indigènes d’Amérique latine sous le nom de Buen Vivir. Aujourd’hui, dans ces territoires ultramarins où les populations souffrent de plus d’inégalités, des initiatives de la société civile se multiplient intégrant le droit au développement durable et le bien-être humain.
Carine David
Professeure de droit public et directrice éditoriale de la Revue Juridique du Bonheur
“Un acte militant pour construire ensemble un monde plus durable.”
Aujourd’hui, cet écosystème ouvre la voie vers des modèles agro écologiques autosuffisants adaptés à la culture locale mais qui pourraient aussi inspirer d’autres territoires, en plaçant les femmes au coeur du changement et de l’agriculture de demain.