Le tressage des Îles Australes à la place du plastique


Le tressage est un savoir-faire transmis de mère en fille, totalement indissociable de l’identité des Polynésiens.
Si les tresseuses rivalisent de créativité dans leurs réalisations, aujourd’hui l’art du tressage est aussi une alternative écologique au plastique.

Le symbole des Îles Australes

Maureen Taputu, artisane tresseuse, est née “loin de tout” à Rurutu, dans les îles Australes. Mais “quand on part, on revient toujours”, assure-t-elle. Son île est reconnue pour ses tresseuses de renom. Chapeaux et paniers viennent ajouter des revenus non négligeables à ceux de la pêche et de l’agriculture pratiquées par les hommes.

Cordages de navigation, vêtements, armes ou instruments de musique étaient déjà tressés au XVIIIe siècle lors du premier contact. Aujourd’hui, les femmes perpétuent les gestes d’hier qui leurs sont transmis par leur mère ou leur grand-mère. “Lorsque je suis née, j’ai ouvert les yeux, j’ai découvert ma grand-mère dans le milieu du tressage”, se rappelle Maureen Taputu.

Sa mère, Tiaré, a ensuite pris le relais en lui enseignant une dizaine de motifs différents comme le “upe’a” en forme de filet ou le “onionio” en dents de requin. Au fil des années, “la fille de Rurutu” est devenue de plus en plus reconnue pour ses créations jusqu’à pouvoir affirmer : “le tressage, c’est une identité pour moi”. Si elle a quitté son île pour Papeete, son rêve est de faire honneur à ses racines en ouvrant une école de tressage.

Découvrir le tressage polynésien

Transmettre à tout prix

“On travaille à la main, c’est un art. Je suis une artiste.” Tiaré Taputu

À Rurutu, les femmes sont des spécialistes du tressage de feuilles de pandanus, une plante tropicale, mais aussi de bambou. Tiaré Taputu est la gardienne des traditions puisqu’elle sait “presque tout faire” en tressage. Après 60 années de pratique, elle est convaincue que transmettre est son “devoir”. “Si quelqu’un veut apprendre, il faut lui donner ce que tu sais, c’est pour l’aider dans sa vie.

Elle n’hésite pas à dévoiler tous ses secrets aux jeunes femmes lors de la coupe des feuilles de pandanus. Récoltées vertes sur l’arbuste tous les trois mois pour ménager la plante puis assemblées en longues tresses, elles sèchent suspendues au soleil. À l’ombre le jour, à la lumière d’une lampe à pétrole la nuit, les femmes peuvent ensuite tresser sur de grandes nattes. “On fait des groupes avec les copines”, raconte Tiaré. Une à deux journées de travail leur sont nécessaires pour un panier.

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Entre tradition et modernité

“Je tresse avec mon cœur parce que c’est ma culture et c’est dans le tressage que j’ai grandi.” Tuaaneanau Teheiura

“Le tressage nous réunit, c’est un moment de plaisir, d’échange.” Tuaaneanau Teheiura écoute les conseils de Tiaré Taputu avec patience et dextérité. Du haut de ses 16 ans, elle considère ce savoir traditionnel entre “un moyen de s’évader de l’école, de penser à autre chose” et “quelque chose qui nous bloque, qui nous fait rester chez nous”. 

Pourtant la jeune fille vend ses chapeaux tressés pour financer ses études. Sa mère voudrait qu’elle arrête l’école qui lui prend trop de temps mais Tuaaneanau rêve d’être professeure de français et de découvrir d’autres cultures. Elle promet dans un sourire : “Je prends la tradition dans mes bagages avec moi, partout, partout. Même pas dans mes bagages, c’est dans mon cœur que je la garde.”

L’atelier de transmission

Un facteur d’émancipation

“Je me sens fière, fière des femmes aujourd’hui.” Maureen Taputu

Depuis Hina, la sorcière légendaire à l’origine du tressage, les tresseuses de Rurutu ont transformé leur art en véritable vitrine culturelle de l’artisanat polynésien. À Rurutu, elles exposent et vendent leurs créations au Service de l’artisanat. “Très autonome et indépendante financièrement”, Maureen Taputu se sent “émancipée, valorisée et reconnue” grâce au tressage.

Plus qu’un artisanat, c’est un moyen pour les femmes de se retrouver entre elles, de s’entraider et de s’affranchir économiquement. “C’est mieux de travailler pour toi-même, tu seras toujours libre, tu seras heureuse, il faut créer quelque chose”, conseille Tiaré Taputu.

Un facteur d’émancipation
TerritoirePolynésie
Habitants283 147
Îles AustralesRurutu
Habitants2466
Particularitéla plus méridionale de la Polynésie

Laboratoire d’idées pour demain

Un premier pas vers la protection du fenua

Alors que le plastique est de plus en plus décrié, le tressage pourrait en devenir une alternative écologique. Depuis 2017, le ministère de l’Artisanat a lancé l’opération ‘Ete. A chaque édition, des paniers en pandanus tressés sont vendus dans les grandes surfaces pendant quelques jours. Pour aller vers un monde plus durable, depuis le premier janvier 2022, tous les sacs en plastique ou en papier destinés à l’emballage des fruits et légumes ou du pain dans les supermarchés polynésiens ont été interdits. Au-delà de l’artisanat, le tressage devient un outil de préservation du fenua.

Hinanui Cauchois
Archéologue, professeure d’histoire et autrice de l’ouvrage Tressage. Œuvres, matières & gestes d’hier et d’aujourd’hui (2013, ed. Au Vent des îles)

“Aujourd’hui, la femme innove pour pouvoir créer d’autres modèles de tressage.
C’est magnifique parce qu’on peut relier le passé, le présent et le futur.” Maureen Taputu


Le tressage est un savoir millénaire qui suit les évolutions de la société. Pratiqué par les femmes, il participe à l’émancipation économique des Polynésiennes mais s’avère aussi être une alternative écologique dont il faudrait s’emparer de manière urgente pour aller vers un monde plus durable.