Cilaos : la terre des tisaneuses 


À l’île de La Réunion, depuis plusieurs siècles des tisaneuses soignent par les plantes.
En complément des médicaments, elles proposent des remèdes sur mesure qui reposent sur des connaissances admirables.
Dans un monde en pleine transition, ces expertes de la nature sont de plus en plus reconnues.

L’art de la tisane

À La Réunion, de génération en génération, se transmet le savoir des plantes médicinales. “C’est toujours la maman qui prépare la tisane donc la femme est plus apte à transmettre aux enfants.” Reine-Claude Gonthier a “grandi dans une famille de tisaneurs”. “Cette fille des hauts”, née au cœur du cirque de Cilaos, perpétue l’héritage familial dans son Jardin du Piton Bétoum.

À l’origine des tisanes réunionnaises, la fuite des esclaves dans les hauteurs de l’île dès le début du XVIIIème siècle. Loin de tout, ils étaient obligés de se tourner vers les plantes pour faire face aux épidémies. Si ces connaissances ont dû être dissimulées plus tard, lors de l’arrivée de la biomédecine, la tradition ne s’est jamais éteinte. Les femmes ont continué à prescrire des remèdes naturels à l’abri des regards.

“On a grandi avec une tisane sur la table tous les jours, c’était presque obligatoire parce que papa ne voulait pas d’enfant malade”, se souvient Reine-Claude. La médecine créole a la particularité d’être préventive et depuis une vingtaine d’années, elle gagne en popularité. Loin de l’image folklorique des potions de grand-mères, les espaces dédiés à l’herboristerie abondent dans les pharmacies. “Les plantes sont l’essence même de la vie” souligne Reine-Claude.

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Le jardin du bonheur

“Je me sens bien dans ce jardin. Je suis une plante parmi les plantes.” Reine-Claude Gonthier

En 1999, Reine-Claude Gonthier a créé son havre de paix sur les terrains en friche de son grand-père. Au milieu de cette forêt vierge, elle a trouvé “sa place”.  Elle y cultive une cinquantaine de simples endémiques de l’île comme le bois de joli cœur, dépuratif, ou les feuilles de Faham aux “propriétés anti-bactériennes pour les asthmatiques”. Sollicitée par les Réunionnais hors du circuit de la médecine moderne, elle compose des remèdes sur mesure. 

En dehors de la traditionnelle infusion, la tisaneuse utilise “les feuilles épaisses, les écorces, les racines” en décoction où l’“on fait bouillir la plante et l’eau en même temps”. Pour “la macération”, les simples vont plutôt tremper dans le liquide plusieurs jours. Les tisaneuses les plus aguerries utilisent la complication, “un mot créole pour dire qu’on mélange les plantes. Il y a un mariage entre leurs énergies et ça a un effet plus fort que l’infusion.” Isabelle Joly Hoarau, tisaneuse et amie de Reine-Claude, mélange des cœurs de cerises, du gros baume et du galabert pour composer une tisane anti coup de froid.

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Une médecine de symboles et de règles

“Nous ne sommes pas des maîtresses des plantes mais simplement des femmes avec le même amour pour la nature.” Isabelle Joly Hoarau

Écrivaine, conteuse, et ethnobotaniste, Isabelle a un lien très fort avec la nature. Comme Reine-Claude, elle prescrit des tisanes selon “les chiffres magiques”. “Le 3, c’est pour prévenir la maladie, on met 3 plantes, 3 fois par jour, pendant 3 jours. Le 5, c’est quand on est déjà malade, 5 plantes, 5 fois, 5 jours. Le 7 a un côté magique, c’est quand il y a une influence négative.” Attention toutefois, “il y a un dosage à respecter”, rappelle Reine-Claude. “La plante est un médicament naturel, mais reste un médicament”.

Pour les mélanges entre plantes, il y a deux écoles. Dans la famille de Reine-Claude, “on ne mélange pas”. Isabelle est plus instinctive : “Quand quelqu’un m’explique son problème, j’ai des plantes qui me viennent en tête et souvent je fais une complication.” Les deux expertes se rejoignent sur certaines plantes. Si elles utilisent l’artichaut pour nettoyer le foie, il ne doit pas être mélangé à cause de son amertume. La conteuse a une dernière recommandation, “ne pas toujours boire les mêmes tisanes et arrêter de temps en temps.”

L’atelier de transmission

Des femmes courage

“Ce savoir traditionnel, ancestral, voire matrimonial, c’est un savoir qui nous donne une lecture du monde.” Martine Nourry

Les yeux de Martine Nourry pétillent d’émerveillement devant les connaissances inépuisables des tisaneuses. Pour elle aussi, la plante est le premier médicament”. Alors, elle a décidé de faire découvrir le Jardin du Piton Bétoum aux femmes de son association K-pab6T. Face à leur “manque de confiance”, Martine essaie de les “reconnecter à leur potentiel”. Reine-Claude est heureuse de les accueillir et de leur raconter qu’on peut s’en sortir. “Les plantes m’ont sauvée. Je les ai trouvées et elles m’ont trouvée.” 

“L’objectif premier” de la tisaneuse de Cilaos “est de transmettre ce patrimoine. Je veux donner cette chance aux jeunes filles qui sont un peu perdues et qui ont envie d’avancer. Il y a d’abord l’amour des plantes, mais aussi celui des humains”. Isabelle en est convaincue, “tout ce savoir pourrait aider des femmes à vivre des plantes comme le fait Reine-Claude.” De ce moment entre femmes, Martine retient la sororité. “Il y a quelque chose de l’ordre du secret qu’on se partage, pour pouvoir nourrir, guérir, et faire tenir la famille.”

Des femmes courage
Territoireîle de La Réunion
Habitants863 100
VilleCilaos
Habitants5 568
Particularité232 plantes endémiques

Laboratoire d’idées pour demain

Vers une médecine intégrative

Face aux limites de la médecine biomédicale lors des récentes épidémies de Covid et de Chikungunya, les Réunionnais se sont tournés vers ce qu’ils connaissent le mieux : les plantes de leur île. Les symptômes respiratoires et fiévreux étant courants, il leur semblait logique de les soigner naturellement avec des plantes fébrifuges comme le patte poule. Loin de créer une défiance envers la médecine moderne, les habitants de La Réunion ont appris à l’associer à leurs savoirs locaux pour une optimisation thérapeutique. La Pharmacopée française est sur le même chemin avec l’inscription de 19 plantes médicinales de La Réunion.

Laurence Pourchez
Docteure en ethnologie et en anthropologie sociale, directrice du département Afrique Océan indien de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) dans une vidéo extraite du MOOC UVED « Biodiversité et changements globaux »

“La transmission est fondamentale parce qu’on s’appuie sur hier pour créer demain et cela forme une sorte d’union sacrée au féminin.” Isabelle Joly Hoarau


Sur l’île de La Réunion, les femmes perpétuent la tradition en préparant des tisanes médicinales. Les plantes, utilisées comme remède dans le monde entier depuis 3 000 ans, sont de plus en plus reconnues par les professionnels de santé. En septembre 2023, l’État français a réhabilité le titre de paysan-herboriste. Un premier pas vers une vraie médecine intégrative.