En Guadeloupe, le renouveau des jardins créoles


Les jardins de case autour des maisons se réinventent grâce aux femmes qui y voient un modèle d’agroécologie et d’autonomie alimentaire.

Le jardin laboratoire

Qu’elles soient maraîchères, vendeuses sur les marchés ou jardinières, les femmes représentent un tiers des actifs agricoles. Longtemps, leurs savoirs n’ont pas été reconnus et pourtant ils s'épanouissent dans les jardins créoles depuis la période de l’esclavage et de la colonisation européenne. À la fois jardin d'agrément autour de la maison, garde-manger, pharmacie et réserve de la biodiversité, les femmes jouissaient d’une liberté totale quant aux plantations tout en apportant une contribution à leur famille. “Ça nourrissait la famille et ce n’était que du bonheur” se souvient Raymonde Gane, jardinière à Gosier près de Pointe-à-Pitre.

Après être tombé dans l’oubli par les nouvelles générations, dans les années 80, des agronomes vont s'y intéresser et réveiller la mémoire collective. Des associations se créent et des femmes retrouvent le chemin des jardins. Un nouveau chapitre s’ouvre ; à l’heure de l’éveil des consciences sur la toxicité du chlordécone, utilisé pendant des décennies dans l’agriculture. Le jardin créole devient alors une alternative agroécologique et économique. Il ouvre aussi la voie vers une autonomie alimentaire nécessaire sur ce territoire, où la nourriture importée représente plus de 75% de l’alimentation avec des prix 55% plus élevés que dans l’hexagone. Le jardin est devenu aujourd’hui un jardin d'expérimentation à la fois écologique, économique et social.

Découvrir les jardins créoles

Le jardin du bonheur

Mon jardin me remplit, il me donne de la joie, il m’apprend beaucoup de vertus, comme la patience, la bienveillance. Raymonde Gane

Le jardin de Raymonde Gane, est un rêve enfin réalisé. Ses souvenirs de petite fille sont intacts : "je voyais tout ce que maman faisait dans son jardin... c’était un moment de paix et ça m’apprenait à écouter aussi.” Elle ajoute que le jardin l’a construite mais ce n’est qu’à la retraite qu’elle crée son jardin dans le respect de la tradition. Potager, plantes aromatiques, médicinales ou ornementales, son jardin est réputé pour être le plus beau de Gosier. Elle y passe une grande partie de ses journées. "C’est mon compagnon du quotidien." 

Aujourd’hui, elle ouvre son jardin et souhaite transmettre sa passion en particulier aux jeunes et aux femmes. Elle espère ainsi les rendre plus heureuses, plus autonomes, et créer une société nouvelle car "à travers les femmes, le changement se fera."

Le jardin de Raymonde

Le jardin créole : une alternative agroécologique

Le jardin, c’est l’esthétique, la production et la durabilité. Il faut ces trois éléments pour que le jardin soit nourricier et porte ses fruits. Chantal Labylle

Chantal Labylle n’a pas été élevée dans la tradition des jardins et, après un changement de vie, elle devient assistante sociale. Elle voit rapidement les limites de l’accompagnement derrière un bureau et décide en 2019, avec deux amies, de créer l’association Bwa Kapab, dont le nom porte à lui seul l’essence du projet : "Bois capable, c’est un arbre qui symbolise notre capacité à faire les choses et surtout à pouvoir s’améliorer et se construire”
Dans son jardin école, elle accompagne des femmes vulnérables pour qu’elles retrouvent confiance en elles et les aident à subvenir à leurs besoins grâce à leurs plantations. À ce jour, elle a accompagné une quarantaine de femmes à créer leur propre jardin.

Cet espace respecte l’équilibre de la nature, de la biodiversité, et joue sur l’association des plantes puisque chacune d’entre elles doit tenir son rôle comme le souligne Chantal, précisant que  si “les feuilles de la tomate sont par exemple répulsives, le basilic lui repousse les insectes…  ces plantes permettent de protéger les autres espèces qui ne peuvent pas se défendre”. 
Ces techniques ont depuis été validées par les agronomes et conceptualisées sous le terme de la permaculture.

L’atelier de transmission

Une communauté de femmes écologistes 

Le jardin, c’est une alternative pour se rencontrer, pour mieux vivre ensemble et pour s’épanouir ensemble.” Athanasia Siber

Revenue au pays après une carrière dans l’hexagone, Athanasia Siber participe aux ateliers de transmission pour retrouver une sororité et créer à terme son jardin potager. Pour elle, l’autonomie alimentaire est nécessaire car elle vit sur une île, un territoire plus soumis encore aux risques que d’autres et “c’est important de pouvoir manger ce qu’on plante, même sur une toute petite parcelle“. A ses côtés, Sandrine Viviane Matou a aussi décidé elle aussi de créer son jardin “pour éviter d’aller dans les supermarchés.”
Mais au-delà de cet objectif, son projet de vie est de prendre soin de l’environnement "pour pouvoir protéger notre île, la nature et ce qu’elle nous procure en abondance."

Une société plus durable

Zoom : le jardinage koudmen

C’est la solidarité entre les générations qui crée le bonheur et l’extase de chacun. Chantal Labylle

Le jardin créole porte en lui la culture de l’entraide comme l’illustre la culture Koudmen, "coup de main" en créole : un jardinage itinérant, où la communauté décide d’aller chez l’un des membres pour l’aider à cultiver son jardin. Diagnostic, accompagnement à domicile et bénévolat de tous, l’objectif est de rendre le jardin productif mais surtout de créer du lien social, comme le résume Chantal Labylle : "chacun donne son expérience. Il y a des anciens, il y a des nouveaux. Il y a des jeunes et des moins jeunes. Le jardinage itinérant, c’est la solidarité."

TerritoireGuadeloupe
Habitants384 239
VillageLe Gosier
Habitants de Grande Terre197 603
ParticularitéJardins créoles

Laboratoire d’idées pour demain 

Le jardin de l'émancipation

Pour répondre aux propos d'Aimé Césaire sur le miracle de la créolisation, Catherine Benoît souligne qu’il est incroyable que "de ces sociétés esclavagisées soient sorties ces cultures créoles comme le jardin de case”. Cet espace riche de différentes traditions est toujours exclusivement géré par les femmes à la fois sur le plan horticole, des rituels et des relations avec les non humains et les humains. Il est aussi un lieu social où les femmes interagissent et développent leur émancipation. En ce sens, le jardin est un espace d’affirmation de soi, de son identité, de son genre et de son environnement.

Catherine Benoît
Professeure d’anthropologie au Connecticut College, autrice de l’ouvrage Corps, jardins, mémoires. Anthropologie du corps et de l’espace à la Guadeloupe (éditions du CNRS)

Il faut soigner la planète comme on se soigne.” Raymonde Gane


Aujourd’hui un nouveau chapitre de l’histoire des jardins s’ouvre, grâce aux femmes qui y voient une alternative face au changement climatique qui affecte l’agriculture. Enseigné de plus en plus dans les collèges de Guadeloupe, les élèves se réapproprient cet art du jardin et se préparent à devenir des ambassadeurs d’un monde plus durable.