L’abattis kali’na, une alternative à l’agriculture intensive


L’abattis est au cœur des traditions ancestrales Kali’na en Guyane.
Cette agriculture millénaire itinérante est un modèle vers un monde plus résilient.

La terre au coeur de la vie des Kali’na

La Guyane est le territoire le plus vaste mais aussi le plus boisé d’Outre-mer. Couvert à 96% par la forêt amazonienne, il abrite 2 800 amérindiens du peuple Kali’na sur le littoral dont certains vivent encore de la pêche, de la chasse et de l’agriculture. “Nous cultivons d’une manière ancestrale, nous ne pouvons pas faire autrement”, explique Cécile Kouyouri.

En 1997, elle est la première amérindienne à avoir été élue cheffe coutumière de Guyane. En tant que gardienne des traditions kali’na, elle s’est investie dans “un combat de plus de 20 ans” pour recouvrer leurs terres ancestrales. Une lutte couronnée de succès en 2019 lorsque l’État leur rend 1 000 hectares de concession collective et 39 000 hectares de zone de droit d’usage collectif.

De quoi poursuivre et développer la culture de l’abattis, une pratique agricole vieille de trois millénaires. Les arbres des parcelles sont abattus et brûlés avant les plantations. La terre est ensuite mise en jachère quelques années pour que la nature y reprenne ses droits. En 2014, l’abattis représentait 3 exploitations agricoles guyanaises sur 4.

Découvrir les abattis kali’na

Une connexion à la terre de ses ancêtres

“Sans l’abattis, je ne me sens pas kali’na.” Margarita Bois-Blanc

Les femmes kali’na brûlent, labourent et plantent pour nourrir leur famille. Margarita Bois-Blanc fait partie de celles qui après une journée de travail, se rendent dans leur abattis le sourire aux lèvres. Pour elle, se reconnecter à la terre est vital. C’est “un trésor” qui fait partie de son identité kali’na. 

Bananes, ananas, manioc poussent dans l’abattis de Margarita. Elle a appris de sa mère et elle transmet maintenant ses connaissances à sa fille. Vanessa ressent une forte connexion aux plantes qui l’entourent. Parfois, elle leur parle. “C’est ça notre plus grande valeur, on respecte la nature et on a besoin d’elle.” La jeune kali’na se sent prête, elle aura bientôt son propre abattis. Elle a décidé d’associer les savoirs de sa mère à ceux, plus modernes, de la famille Gunther.

Voir le portrait des agricultrices

L’agroforesterie au service de la tradition

“Autrefois, on abattait tout. Avec cette nouvelle pratique, tout devient important à mes yeux.” Samuel Gunther

Samuel et Lucinda Gunther se réapproprient leur identité culturelle kali’na en associant agroforesterie et savoirs traditionnels dans leur abattis. Le couple a fui la guerre civile du Surinam à la fin des années 1980 pour venir s’installer en Guyane. Samuel fait figure d’exception car il a recueilli les connaissances des femmes de sa famille. “J’ai toujours voulu refaire ce que ma mère m’avait enseigné, c’est un beau souvenir quand je suis dans mon abattis.”

En se documentant, il a décidé de s’inspirer des techniques modernes. Les feuilles mortes ne sont pas ramassées mais labourées pour faire du compost. Certains fruits sont plantés pour faire de l’ombre à d’autres… Ces pratiques empruntées à l’agroforesterie permettent à la famille Gunther d’enrichir son abattis d’espèces peu habituelles en Guyane comme les tomates, les concombres et même des melons.

Voir le portrait des agricultrices

Un outil d’autosuffisance alimentaire

“L’abattis est l’avenir de la femme.” Lucinda Gunther

“La terre est la mère nourricière” de Lucinda Gunther. Depuis son arrivée au village il y a 33 ans, elle observe les femmes transformer le manioc. En rentrant de leur abattis, elles râpent les tubercules puis les mettent dans leur couleuvre pour en extraire le jus. Semoule de couac, cassave, kasilipo et cachiri naissent du labeur des femmes de Bellevue.

Aliment fondamental de la cuisine kali’na, la culture du manioc assure la sécurité alimentaire de nombreuses familles. “C’est très important de ne pas perdre ce savoir. L’avenir des femmes, c’est la culture”, affirme Lucinda. A son tour alors de diffuser les secrets des recettes kali’na. “C’est un désir qui est là de transmettre ce savoir aux enfants. A mes enfants mais aussi à tous les enfants du village et de la commune.”

L’autosuffisance alimentaire
TerritoireGuyane
Habitants285 133
VillageBellevue
Habitants536
ParticularitéPlus de 4 700 abattis

Laboratoire d’idées pour demain 

Un exemple de sobriété heureuse

La terre est un trésor à préserver à tout prix pour les Kali’na et leur abattis est un exemple de “sobriété heureuse”. Un modèle dont se saisissent déjà d’autres peuples comme les Bushinengués de Guyane. Mais aujourd’hui ce système agricole est touché par la crise climatique et de nombreuses inondations qui font pourrir le manioc. Du Brésil à la Guyane, les abattis et les autochtones en sont les premières victimes. Pourtant, ce modèle d’agriculture pourrait participer à un monde plus durable.

Marie Fleury
Ethnobotaniste au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN)

“Nous sommes un peuple vivant de la nature et nous l’aimons, nous la préservons” Cécile Kouyouri


La culture de l’abattis se transmet de mère en fille depuis des millénaires. Ce modèle d’agroécologie respecte l’équilibre de la nature, tout en assurant l’autosubsistance des peuples autochtones. Plus qu’un savoir-faire, c’est une part de l’histoire kali’na dont il faudrait s’inspirer.